Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
beyondinfinite
15 avril 2008

Science fiction et art contemporain

Lentement j'ai vu au cours des vingt dernières années une convergence entre les images et les postures en art contemporain avec les visions des auteurs de science fiction.
Ce processus met en situation de nombreuses utopies et spéculations techniques, Serge Brussolo est l'un des pionniers. En 1983, il publie trois ouvrages, l'un concerne l'architecture "Vue en coupe d'une ville malade", les deux autres concernent les musées et la poiétique : " Evacuation immédiate des musées fantômes" et " Aussi lourd que le vent", ensuite nous verrons une suite de publication dont le sujet est l'artiste et son oeuvre.
Les cyber punk ne manqueront  d'alimenter ces réflexions.
En 1992 une exposition organisée par Frank Perrin et Nicolas Bourriaud "l'hiver de l'amour" montre une multiplicité de postures en désordre, le parcours dans cet exposition rappelle les description des "tératologies artistiques" semblables aux pages de de Serge Brussolo..


Vous pourrez lire ci-dessous un extrait de "Plus lourd que le vent" :

 

TRAJETS ET ITINÉRAIRES DE L'OUBLI, Serge Brussolo, Collection Temps Futurs, Edition Denoêl,1984

 « Il bougea, s'arrachant lourdement à son hypnose, mais déjà les autres œuvres entonnaient leur chant des sirènes, le forçant à faire glisser ses semelles l'une après l'autre sur l'étendue du parquet grinçant, le contrai­gnant à se jeter à corps perdu dans cette mer sentant la cire et l'encaustique qui séparait les îlots formés par les différents piédestaux des pièces exposées. Il avançait, envoûté, gagné par l'ivresse du musée, grisé de vertiges malsains, il avançait vers le miroir glauque des vitrages, les mains tendues en avant, d'une démarche de zombi, ne s'arrêtant que lorsque son visage venait buter sur la surface froide des glaces.

Là c'était un revolver de cristal avec son barillet transparent dévoilant les douilles de cuivre des balles. Un revolver démentiel voué à la désintégration au premier coup tiré. Une arme condamnée à se muer en un nuage d'aiguilles de cristal dès que le chien se serait écrasé sur l'amorce du projectile engagé en position de tir.

Plus loin c'était un obus de feutre gris qu'on avait entaillé au scalpel afin qu'on pût voir la charge explosive constituée d'une ogive de plumes et d'oisillons morts...

« Tous ces objets sont des objets réels ! » martelait Elsy à chacune de leurs visites. « Aussi prosaïques qu'un marteau ou qu'une pelote de ficelle. Leur étran-geté, leur apparence artistique s'explique simplement par le fait qu'ils viennent d'un autre monde... »

Et Georges hochait la tête, répétant comme une leçon ou un mot de passe : « ... Un autre monde... »
Mais il n'y croyait pas vraiment.

A présent il se déplaçait à petits pas, la joue collée au verre de la gigantesque devanture, dans l'odeur acre de la poussière et des fermetures de cuivre. Sous ses yeux défilaient les pièces d'une lingerie inconcevable : slips féminins de toile émeri, pyjamas de métal moulé non articulés, sorte d'uniforme d'immobilité où l'on devait se boulonner pour dormir. Chemises de nuit sculptées dans une pierre rugueuse analogue au granit, jarretelles et soutien-gorge de fonte au poids énorme, nuisette de béton, pantoufles de ciment assez pesantes pour servir d'ancre à une barque. Toute une garde-robe sortie des tiroirs de l'impossible, sorte d'antithèse du confort le plus élémentaire, panoplie dédiée à de mystérieux tourments domestiques, vêtements fossiles transformés par les prodiges du temps en armures ou en carapaces.

Georges avançait, ivre. Pour peu il aurait rebondi de vitrine en vitrine comme une balle. Quel peuple de cauchemar avait bien pu endosser de telles défroques ? Quel masochisme avait pu engendrer de pareils costu­mes ? Il titubait, essayant d'imaginer des êtres plus durs que l'airain, pliant ces effets de bronze sans plus de difficulté que s'il se fût agi de nylon ou de soie mais son esprit dérapait, s'enlisait dans les marais de l'impuis­sance. Déjà une autre salle l'avalait, s'ouvrant sur un coffre-fort de terre cuite, rouge comme un pot de fleur ; friable, fragile, prêt à éclater comme une coquille d'œuf au moindre coup de poing. On retrouvait là, au hasard des allées, des casques militaires de porcelaine ou de verre teinté, des treillis léopard de papier crépon, des matraques en moelle de sureau... Encore une fois, Georges se perdait en conjectures. Fallait-il imaginer que ces armes, ces vêtements avaient été conçus pour des êtres d'une extrême fragilité, d'une infinie délica­tesse qu'un coup de matraque de coton hydrophile suffisait à meurtrir, des hommes, des combattants plus fragiles que le papier de soie de leurs uniformes, ou bien fallait-il voir dans tout cela un cérémonial esthétique, une méditation sur le déchirement mental qu'imposait la structure antithétique des objets, tel ce gourdin coton­neux dont la matière réduisait l'efficacité et l'utilité à néant? »

 

occupant l'angle droit attirait son attention. C'était un coffret offert sans protection à la curiosité des badauds. Une sorte de boîte merveilleusement laquée et nantie d'une fine poignée dorée à l'or fin au centre de la partie formant couvercle. Un panneau indiquait que la cassette — au demeurant non verrouillée — renfermait une collection incomparable d'images pornographiques japonaises. Toutefois, soulever le couvercle revenait à déclencher à l'instant même un dispositif d'autodestruc-tion chimique qui réduisait les photographies en cendre en l'espace d'une fraction de seconde avant même que le profanateur ait eu le temps d'entr'apercevoir le moindre détail.

Une telle perversité mettait Georges au comble de la joie. L'interdit exacerbait l'attention du visiteur au-delà de toute limite, et plus d'un indiscret avait dû enfoncer rageusement les poings au fond de ses poches pour résister à la tentation de faire basculer le couvercle à la laque sans défaut.

De telles aberrations esthétiques avaient exercé une grande influence sur Elsy, très rapidement, elle lui avait avoué son désir de procéder à des expériences analo­gues, de construire de semblables pièges où l'esprit venait se perdre, invinciblement attiré par le vertige de la fascination. Théoriquement Georges aurait dû se réjouir d'une telle décision, pourtant l'aventure lui faisait un peu peur. Et si la jeune femme ne réussissait pas à obtenir ce qu'elle voulait, ne tomberait-elle pas de plus haut encore? Avant qu'il ait pu se décider à intervenir, elle avait expédié plusieurs annonces à un journal artistique professionnel où les maîtres du moment recrutaient assistants, modèles et disciples divers. A partir de cet instant elle passa la plus grande partie de ses journées à guetter le facteur dans sa tournée quotidienne, dans l'attente d'une hypothétique missive.

Le réel rattrape la science fiction, l'art est devenu le livre d'illustration de spéculations narratives. Comment surseoir à cette saturation alors que les post-modernes  ont annoncé l'épuisement de nos rêves dans un présent tonitruant.

Il est maintenant ridicule de revendiquer une utopie alors comment retrouver de nouveaux horizons.

Le cosmos semble plus difficile à atteindre, l'éveil est brouillé par l'abondance des gnoses commerciales et doctrinaires, alors comment profiler son regard au delà des oukases sociétales anxiogènes ?



Publicité
Publicité
Commentaires
beyondinfinite
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité