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beyondinfinite
21 juillet 2008

réponse 03 à Karim Berkani sur l'oeuvre et la problématique d'Alexander Grothendieck

 

 Merci pour ta réponse. Elle va m'aider à faire mûrir ma réflexion.

 Le fameux texte suivant de A. Grothendieck (que tu retrouveras dans R&S) est très

révélateur de ce que j'ai illustré et ce qui m'a donné envie de le faire.
Je pense que A. Grothendieck a dans un premier un rapport sensible et très imagé avec les mathématiques.

Les idées fusent parfois dans un tout incohérent. Cet aspect devrait te plaire : il y a du chaos dans sa façon de faire. La mise en forme de ses théories arrive dans un second temps. Elle est plus seche car il faut rentrer dans le moule de la cohérence. Et, c'est du travail ...
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1. En réfléchissant au rapport mathématique et dessin, j'ai parfois l'impression d'être inconsistant car beaucoup de choses se passent dans le champ de l'analogie. Je suis désolé de plaider dans le champ de l'analogie, mais l'intuition articulée avec l'expérience est une forme de savoir qu'il ne faut pas négliger. Je ne crois pas que A.Grothendieck démentirait cette assertion. Par conséquent je continuerais en tentant de montrer un paysage intellectuel qui prend parfois la forme d'un discours mathématique et parfois la forme d'une posture esthétique.
Il est par ailleurs illusoire de formuler une proposition esthétique avec des outils axiomatiquement validés. C'est un discours et un partage du sensible pour reprendre la formule de Jacques Rancière. Mais afin de me préserver des critiques formulées par les détenteurs du savoir mathématique ou de l'épistémologie mathématique, Je ne fais ni l'un, ni l'autre, mais je m'intéresse à la façon dont le dessin vacille de l'ordre au chaos, comme peuvent le faire des modèles mathématiques. Ainsi je ne peux astreindre mon discours au moule de la rigueur mathématique pour lui conserver une liberté poétique. C’est le discours dessiné qui emporte sa cohérence avec lui. Charge est au spectateur d’en retrouver les règles. C'est bien là où les mathématiques s'arrêtent et l'art commence. La notion de cohérence en art est passionnante car une proposition emporte sa cohérence avec elle. Ce n’est pas rationnel et cela fonctionne dès lors que l’on regarde de plus près une œuvre. L’artiste génère sa forme et sa théorie.
C'est très inquiétant pour les rationalistes qui croient en une référence commune et parfois universelle.
Et pourtant en physique le modèle des particules « bootstrap » s'échangeant avec le vide quantique est une forme étrange d'auto-cohérence. Un être existe avec une transaction dans le vide. On peut ainsi parler de cohérence plus ou moins forte, elle peut autant s'inscrire dans le continuum du milieu de l'art ou dans le continuum des débats esthétiques. L'urinoir duchampien a fait exploser les cadres absolus en art propulsant l'esthétique dans une multiplicité de postures. L'ubris a été commise et jamais plus l’Occident ne pourra revenir sur des propositions platoniciennes en esthétique. Cette disparition d'un paysage absolu, le beau, le vrai, la ressemblance verse l'art dans la complexité de la pensée humaine et de nos cultures. Et pourtant tout cela fonctionne, on continue d'enseigner l'art, non plus comme un ensemble de modèles mais plutôt comme une suites d'expériences ou des méthodes pour créer des fonctions ainsi chaque idiosyncrasie peut développer la posture la plus fine égard à elle même. C'est pour cela que j'affirme devant mes étudiants maliens "que je viens pour leur enseigner des éléments du folklore occidental". Je ne peux plus sans mentir affirmer une meilleure universalité à nos propositions esthétiques que celles qui ont été produites ailleurs ou avant. La conscience critique de fabriquer de l’esthétique ne donne pas une plus grande universalité à nos travaux. L'humanité à produit des objets d'art sans éprouver la nécessité de leur attribuer les propriétés dont on les dotent actuellement.
J'aimerais bien voir un objet mathématique auto cohérent ! Après cette description je suis un peu gêné, on peut penser que l'art n'a rien à voir avec les mathématiques. Un mathématicien peut toujours prétendre que si il n'y a plus d'humanité, il peut y avoir encore des mathématiques (je ne me rappelle plus du nom de cette école) cette question reste au coeur du débat épistémologique des mathématiques. Savoir si les mathématiques sont naturelles et faites de pensées d’homme. (Nous avons un terme en esthétique pour désigner les images qui ne sont pas faites de main d’homme « archéopoiète » cela sert en particulier pour commenter le miracle de Saint Véronique, c'est-à-dire la trace du visage du Christ sur le suaire) on pourrait imaginer l’archéopoièse d’un axiome… Le théorème de Pythagore ou l’équivalence de la somme de deux carrés avec un autre est une forme récurrente des mathématiques.
Est-elle une production de la nature ?
Sans humanité il n'y a plus d'art. A Grothendieck (Récoltes et Semailles, Ouvrage inédit) pense que les mathématiques sont un discours qui aide l'humanité à comprendre le réel, c'est aussi l'une des propriétés que notre civilisation attribue à l'art.
Il est question de dévoilement. Le réel nous échappe alors trouvons des moyens d'y accéder.
C'est au coeur de mes interrogations, quant on assemble des formes et des espaces comment prennent ils leur cohérence ?
Il n'est pas question de vrai ou de faux, mais bien d'une induction de cohérence, semblable au sentiment poétique, cette impression de dévoilement quant un concept mathématique vient à ma conscience comme une structure claire de description poétique.
Et ensuite on peut résoudre l'ensemble pour le glisser délicatement dans une formulation étayée par les structures de la raison.

En conclusion, l'artiste a le droit de s'approprier des domaines qui ne sont pas les siens et d'acquérir les concepts pour décrire et développer son projet car les définitions de l’art sont mouvantes. Imagine la richesse d'un cours de dessin qui aurait pris la terminologie topologique afin de pouvoir décrire ce qui se passe sur la feuille.
Comment peut on évoquer ces symétries, ruptures de symétries, ces passages du continu à l'unicité, ces transformations scalaires, ces homologies, boucles, propriétés et nature d'espace etc.
Un espace tramé n'est pas un espace de dégradé.
L'espace des nombres réels est il aussi continu qu'en dégradé polychrome dessiné à la main ?  Jean Paul Delahaye nous met sur la voie avec un délicieux article que j'ai égaré sur la thermodynamique des courbes.
Pour

La Science

dans la décennie des année 90... JP Delahaye montre comment l'utilisation des équations de la thermodynamique permet de décrire une courbe qui court aléatoirement dans une feuille de papier et la densité du tracé. On peut naturellement réfléchir plus avant et s'interroger sur la statistique des ruptures et rebroussements.
Ainsi on créé des moyens de description que le dessin n’a pas su développer. L’avance du corpus topologique peut-elle aider le dessinateur et son spectateur.
Francastel (Art et société) évoquait l'idée d'une fresque géométrique disparue de Versailles dont on a une description littéraire mais que l'on ne saura jamais refaire car cette description est trop floue. Que serait-il advenu de cette description si elle avait été dotée d'une terminologie évoluée ?
Le dessin tout simplement peut apporter aux mathématiques des objets qui n'ont pas été encore décrit. Nous avons le pont aux ânes de la spirale logarithmique pour expliquer la morphologie des coquillages mais quant est-il de la texture et des vers qui ont fabriqué leur abris dessus, quelle géométrie peut expliquer la morphologie de leur production calcaire ?
Ces questions nous forcent à imaginer de nouveaux outils descriptifs qui aient un minimum de généralité.
Quel serait cet espace qui passe progressivement du continu au discret ?
Un ensemble de nombre qui irait progressivement de R vers N…

continu_discontinu








Quel serait cet espace qui passe progressivement du continu au discret ?
Un ensemble de nombre qui irait progressivement de R vers N…

 

 

Il serait bien sur plus délicat et plus intuitif de faire "un encombrement crayonné"comme exemple.
Je ne connais pas de distribution numérique qui passe progressivement des nombres réels aux entiers naturels.
A ce sujet l'un de mes amis affirmait récemment que la construction des réels avec la suite de Cauchy est "artificielle". C'est une fabrication intellectuelle selon son opinion.

La fonction dzêta avec ces merveilleuses volutes opère dans l'espace des nombres imaginaires ou des quaternions à ce que je sache.

Cet espace tellement complet et complexe ne possède pas l'ambiguïté structurelle de ce dessin.

Naturellement on y pressent la distribution des nombres premiers, mais rien n'a été encore montré.
Un seul dessin peut proposer une autre vision.
(Je propose d'ailleurs de faire un glossaire des termes de géométrie, puis de se l'approprier pour décrire des dessins existants d'artistes contemporains)

Si plus haut je citais ce réel inaccessible, le dessin permet aussi de construire du réel comme un laboratoire des mondes possibles.

Il permet d'éprouver des réalités intellectuelles. C'est une écriture de la pensée (begriftschrift).
On peut sous certaines conditions comme je viens de le montrer accéder à de sérieuses abstractions.
Il s'agit bien moins d'illustrer que d'accéder à la dynamique d'un objet formé dans un espace.

J'ai découvert cela en construisant au compas et à la règle les diagrammes quasi pentagonaux de Penrose.

A partir d'un certaine quantité de décaèdre l'usage du compas diminuait au profit des points d'alignement, la règle retrouvant à elle seule les symétrie. On pouvait ainsi comprendre comment ce motif est la projection d'une forme totalement symétrique dans la cinquième dimension géométrique. Comme expérience mystique c'est formidable !
 Cela permet de toucher l'inconcevable géométrie qui n'est décrite que par l'algèbre.

L'idée d'accession aux mondes possibles est récurrente en dessin. Quand Leonard de Vinci déclare que le dessin est "cosa mentale", il rappel cet aspect essentiel que le dessin est la trace d'une idée. C'est une vision bien plus que son  illustration, c'est le surgissement d'une pensée. L'une de ses formes matérielles.

C'est ainsi qu'il ne faut pas craindre le chaos, et le désordre même en mathématique.

Je mentionnerai Henri Poincaré qui n'avait pas l'habitude de développer ses démonstrations et qui je crois l'avoir lu dans le livre de Jean Dieudonné "Pour l'honneur de l'esprit humain" allait directement des prémisses à la conclusion laissant ses interlocuteurs stupéfaits.

Le philosophe Paul Feyerabend (1924-1994) a développé une épistémologie du chaos et du désordre. Il étend la connaissance à des disciplines qui font "horreur" aux scientifiques.
Son objectif est de combattre ce qui confirme la toute puissance de la raison, il cherche à réhabiliter, l'erreur, l'intuition, l'irrationnel et la magie comme moyens d'accès possibles à la vérité.

La fréquentation d'animistes porte à penser de la nécessité de son travail, car des sociétés fondées sur d'autres croyances ont su fonctionner efficacement.

La limite se dessine au moment où l'on demandera au marabout de définir l'emplacement pour installer une centrale nucléaire. (C'est un sujet qui a été fréquemment exploité en science fiction)
Je comprends la démarche de Paul Feyerabend* dès lors que la raison a permis d'organiser des génocides, que les sciences soviétiques et nazis ont été opérationnelles malgré des présupposés faux (La théorie génétique de Lissensko, les théories raciales de l'anthropologie Nazi (et oui c'en est une malgré tout), la cosmologie d'Orbiger de la Terre Creuse)sans compter les mensonges scientifiques quotidiens, OGM, nucléaire (encore récemment on peut être surpris qu'au Tricastin tout aille bien, alors que 250 kg d'uranium ont disparus dans la nature).

Ces petits exemples montrent combien la raison et ses protocoles ont de si faibles garanties car derrière la raison se cachent les sophismes et les acrobaties rhétoriques.
Comment les mathématiques qui sont un langages pourraient elles être indemnes de ses propriétés ?

 

Finalement les mathématiques ne sont pas exemptes d'idéologies. Alors qu'elles se sont organisées au XIXe siècle dans le rêve positiviste d'une explication rationnel et mécaniste du monde, elles posaient délicatement les questions qui feraient le XXe siècle, géométries non euclidiennes, théorie des groupes, fonction non dérivables, catégories d'infinies, axiomatique et algèbre propositionnelle.
Jean Dieudonné dans l'ouvrage cité plus haut évoque différents portraits de mathématiciens pour montrer leur diversité anthropologique, il cite l'existence d'un mathématicien allemand de génie (je ne m'en rappelle plus le nom) qui convaincu par l'idéologie du IVe Reich a estimé qu'il était bon de participer à l'invasion de la Russie.
Il a définitivement soldé sa carrière à Stalingrad.
Comment un tel individu peut-il pratiquer la même activité que Georg Cantor ?
On pourrait faire ainsi un portrait assez chaotique des mathématiques, mathématiciens et de leurs spécialisations.
N'est ce pas le début de Babel quant certain domaines mathématiques ne sont compris que par cinq spécialistes qui développent leur propre langage et outils de description.

La chaos est là, nous sommes trop inquiets pour l'admettre et qu'il faille comprendre que s'est avec lui que nous devons travailler afin d'assurer des îlots de raison validés par des intersubjectivités travaillant efficacement.
Le chaos est là aussi pour nous assurer un monde plus vaste que nous même garantissant un futur inattendu.
Je citerai le dernier chapitre « le futur comme perturbation » de 'L'archéologie du futur" de Frederic Jameson, Edition Max Milo.
D'une certaine façon les mathématiques ont franchit "le mur de la raison" dès lors que le projet de gestion et de prévision de l'intégration qui fut l'outil essentiel des technologies du XIX e siècle fut dépassé par d'autres mathématiques dont le souci n'était plus d'anticiper, de construire, de modéliser. Après Augustin le Verrier s'aidant du calcul astronomique pour découvrir Neptune, Cantor et les transfinis annonce les mathématiques de Jacobi, celles de l'honneur de l'esprit humain, Henri Poincaré développant le problème des trois corps annonce la théorie de la calculabilité d'un problème, il apparaît le discours du discours, l'exégèse mathématique et le prodigieux miroir réflexif.
Les mathématiques sont un logos, certes spécialisé, certes borné par des protocoles logiques collectivement garantis mais un logos quand même, c'est à dire une production de la pensée partagée par des humains avec une écriture.

Ces idées me confortent dans la conviction que le dessin, lieu de chaos partage avec les mathématiques les notions d'espaces, de fonctions, d'infini, de voisinage et finalement de topologie.
Mais plus encore logos intuitif il donne un accès immédiat à la pensée de son auteur.

 

 


A Grothendieck dénonce le "milieu des mathématiciens" que pourrait-il dire de l'art alors que cette discipline n'offre aucune "paroi sûre" ;
Où est l’art quant il devient le paysage des oukases sociétales et des vérifications relatives ?
Une lecture en pointillés des éditoriaux de l'hebdomadaire Beaux Arts en est la meilleure illustration. (C’est un peu comme Elle, mais pour l’art)
Chaque milieu emporte sa norme, qui se vérifie dans une difficile équation entre la notoriété, la valeur d'échange et les caractéristiques fondamentales.
L'art n'est pas indemne de cette réalité.

Pour autant il y a toujours de l'art. Dans cette production massive, internationale, multi scalaire et multiculturelle de ce mouvement global que l'on nomme art contemporain,
il y a toujours des aventures intellectuelles et des horizons dévoilés. L'art reste valide, l'art est toujours nécessaire. Mais parfois dans mes périodes de grand doute,

Je crois que la création d'un beau théorème est un acte esthétique plus ouvert et plus généreux car il échappera à l'enflure égotique dont souffre l'art de ce siècle.
Le théorème est rapidement une créature autonome qui dans les intelligences trouvera sa place et ses filiations, lui même producteur d'un nouvel horizon mathématique.
J'ai parfois l'impression que ce que l'on peut faire nous appartient si peu alors que nous sommes tellement immergés dans notre culture et notre langage.
Une proposition qui tient dans une ligne est dans ce cas bien plus élégante que les bouffissures en papier glacé de diktats esthétiques de l'industrie du luxe.

Je suis un peu désolé que A.Grothendieck passe du temps à dénoncer les reniements de ses étudiants. Il parait évident qu'une telle personnalité serait à un moment ou à un autre  confrontée à sa communauté. Georg Cantor fut aussi une victime expiatoire sacrifiée sur l'hôtel du conformisme et de l'incrédulité. Kurt Gödel s'est bien gardé de publier ses conséquences métaphysiques de peur de démolir l’œuvre et le mythe qu’il a si adroitement édifié. « Les Démons de Gödel » Pierre Cassous Noguès.

Combien de singularités ont elles été gâchées par leur environnement dans les histoires de nos disciplines ?
Même chez les esprits originaux on doit obéir. J'aurais souhaité une explication anthropologique plutôt qu'un rappel de ceux qui choisirent le reniement.
Je sais maintenant qui est Deligne, mais qu’importe le Who’s who des mathématiciens français, je souhaite pouvoir appréhender de façon plus fine la vision de Grothendieck, qu’importe que l’on soit renié, oublié. La posture du rebelle a un coût, et l’on ne peut être surpris que cela serve à d’autres. Récemment une critique bienveillante et sympathique m’informait que malgré la profondeur de mes questions, personnes n’y comprenait rien et que cela ne concernait pas le public. Je m’en doute un peu. J’étais heureux de l’entendre une fois de plus et je ne suis pas surpris quand celui qui assure une promotion correcte à son travail obtient une commande à Singapour et New York malgré l’inexistence d’une base théorique de qualité.
C’est normal. Il n’y a pas de temps à perdre à le déplorer. Il est bien plus intéressant de comprendre comment il emmène sa pensée.



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Dans Récoltes et Semailles, A. Grothendieck :

"Prenons par exemple la tache de démontrer un théorème qui reste hypothétique

(À quoi, pour certains, semblerait se réduire le travail mathématique).

Je vois deux approches extrêmes pour s’y prendre. L’une est celle du marteau

et du burin, quand le problème pose est vu comme une grosse noix, dure et

lisse, dont il s’agit d’atteindre l’intérieur, la chair nourricière protégée par la

coque. Le principe est simple : on pose le tranchant du burin contre la coque,

et on tape fort. Au besoin, on recommence en plusieurs endroits différents,

jusqu’`a ce que la coque se casse – et on est content. [...]

Je pourrais illustrer la deuxième approche, en gardant l’image de la noix

qu’il s’agit d’ouvrir. La première parabole qui m’est venue `a l’esprit tantôt,

c’est qu’on plonge la noix dans un liquide emollient, de l’eau simplement

pourquoi pas, de temps en temps on frotte pour qu’elle pénètre mieux, pour

le reste on laisse faire le temps. La coque s’assouplit au fil des semaines et

des mois – quand le temps est mur, une pression de la main suffit, la coque

s’ouvre comme celle d’un avocat mur à point ! Ou encore, on laisse mûrir la

noix sous le soleil et sous la pluie et peut-être aussi sous les gelées de l’hiver.

Quand le temps est mur c’est une pousse délicate sortie de la substantifique

chair qui aura perce la coque, comme en se jouant – ou pour mieux dire, la

coque se sera ouverte d’elle-même, pour lui laisser passage. [...]

Le lecteur qui serait tant soit peu familier avec certains de mes travaux

n’aura aucune difficulté à reconnaître lequel de ces deux modes d’approche

est “le mien” . "

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Grothendieck décrit un travail d'atelier, on peut passer en force. Mais le plus souvent les morphologies intéressantes viennent en douceur, comme une libre disposition de l'esprit, non pas comme un effet de la volonté, mais l'apparition de circonstances propices à la pertinence. C'est probablement l'idée du démiurge, l'ombre de Gauss et Picasso qui fait penser que ces choses apparaissent en fonction de la volonté. Ce sont des mythes. Le travail et la fréquentation permanente de son sujet, mais aussi son éloignement périodique le renforce, le chemin se faisant à la mesure des circulations intimes de l'intelligence et du regard.
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Concernant ta réponse sur l'art numérique, j'aimerais ajouter quelques

précisions. J'ai compris que tu n'es pas complètement enthousiaste ?

J'ai une table à dessin (depuis 5 ans, un vieux modèle maintenant).

Je ne l'ai pas beaucoup utilisée, j'ai fait quelques essais notamment

celui là pour sauvons la recherche

http://www.sauvonslarecherche.fr/IMG/jpg/sr5.jpg

 

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Si je le suis (enthousiaste) ; mais la démarche est complexe car il faut pouvoir définir sa posture esthétique.

Par exemple pour faire des dessins avec un logiciel alors que l'on peut les faire à la main.

On sait que sous certaines conditions le logiciel peut apporter de nouveaux moyens.

Par exemple quand je vectorise une de mes peintures analogiques pour créer un morphing sur une autre peinture analogique.

J'ai réellement besoin d'un outil numérique, car une peinture intermédiaire faite à la main serait bien plus un troisième individu qu'un mutant de synthèse. En l'occurrence c'est cette mutation de l'analyse vectorielle d'un espace de points puis une bijection vers un autre espace matriciel qui est intéressante.
C'est à mes yeux, semblable à la téléportation sur l'Enterprise de Star trek.

Je suis très favorable aux démarches de mes camarades mathématiciens en art plastique mais je souhaite vous offrir les rudiments des analyses critiques permettant de prendre une distance avec la création. C'est très utile car cela permet de mieux y revenir débarrassé des naïvetés esthétiques qui invalideraient les intuitions.
J'ai été invité à un colloque art / mathématique récemment où une fois encore les formes surgissaient des intelligences mathématiques comme immanentes et n'ayant de justification que leur "beauté incontestable", c'est un peu triste d'utiliser tant d'intelligence pour des conclusions si faibles. (Pour la Science du Mois de Juillet propose à ce sujet un article de JP Delahaye (que je respecte beaucoup) où l'on voit deux artistes sculpteurs mathématiciens. Ils font des formes passionnantes mais quid des questions contemporaines de la sculpture, questions de l'espace, de la matière, du socle, de la mise en place, de la signification, du genre. Toutes ses questions sont éludées par le discours mathématique. (Passionnant !) C'est la difficulté d'être dans les zones intermédiaires, il est nécessaire d'envisager plusieurs postures et la multiplicité des points de vues. Ainsi l'esthétique de la complétude morphologique et de l'immanente beauté (Platon) ne peut nourrir un regard esthétique contemporain.


En gros si l'on emploie une technique, c'est que cela est totalement justifié. Surtout si elle est très apparente. Et que si l’on travail dans un domaine intermédiaire, il faut être un généraliste de « bonne qualité ».

Il est souvent souhaitable de tenir à distance les "trouvailles" des ingénieurs car elles sont souvent motivées par des nécessités marketing.

Je vois dans mes cours, des étudiants qui arrivent avec des filtres en guise de proposition esthétiques. Alors "Je roule dessus" avec impatience et désinvolture. Souvent "ils sont humides" après. Ces solutions ne relèvent en aucun cas d'une pensée élaborée. C’est ainsi que je vide malencontreusement mon atelier avec de maladroites remarques sur les abandons démagogiques de mes contemporains.

Rares sont ceux qui emploient les outils numériques pour ce qu'ils sont ou peuvent être.
Nombreux ceux qui emploient ces outils sans une distance critique simplement afin de faire une image plus impressionnante que la précédente. C'est pour cela qu'une mise à distance est très utile.

Parfois le dessin à la main et une bonne photocopieuse peuvent faire l'affaire. Collage et découpage !


L'art numérique est passionnant quant il met en jeu les genres et la procédure :

Les genres, quant il joue sur les transitions modales de l'analogique au digital, de la peinture à l'estampe... et la procédure, quand l'image est programmée.
Je t'invite à explorer un merveilleux outil créé par John Maeda et ses étudiants du MIT
processing.org
il est au confluent des problématiques esthétiques et de la pensée procédurale.
Sigmar Polke a travaillé sur le rapport de la peinture et des impressions numériques, François Morellet a fourni un œuvre ample nourrie d’un regard mathématique ouvert et intelligent. Plus complexe et ouvert, bien moins formaliste et illustratif que Escher. Leurs œuvres sont denses et évoluées.

 

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Les stylos ont beaucoup évolué : il est notamment maintenant possible de grossir ou

d'affiner le trait suivant la force qui est posée dessus. Cette technique m'a plue car je trouvais ici un lien sensible. J'ai l'impression qu'il y a un "nouveau" type d'interaction sensible à explorer.

 

Bonne soirée,

Karim

*Annexe texte de Paul Feyerabend (autrichien, 1924-1994)

 

L'hypothèse qu'il existe des règles (des critères ?) de connais­sance et d'action universellement valides et contraignantes est un cas particulier d'une croyance dont l'influence s'étend bien au-delà du champ des débats intellectuels. Cette croyance (dont j'ai déjà donné quelques exemples) peut se formuler de la manière suivante : il existe une bonne manière de vivre et le monde doit être organisé pour s'y conformer. C'est cette croyance qui a donné leur impulsion aux conquêtes musul­manes ; elle a soutenu les croisés dans leurs batailles sanglantes ; elle a guidé les découvreurs de nouveaux conti­nents ; elle a aiguisé la guillotine et elle fournit son carburant aux débats sans fin des défenseurs libertaires et/ou marxistes de la Science, de la Liberté et de la Dignité. Évidemment, chaque mouvement donne à cette croyance un contenu parti­culier qui lui est propre ; ce contenu change dès que des diffi­cultés surgissent et se pervertit dès que des avantages person­nels ou de groupes sont impliqués. Mais l'idée que ce contenu existe bel et bien, qu'il est universellement valide et qu'il justifie une attitude interventionniste a toujours joué et joue encore un rôle important (comme on l'a dit plus haut, cette croyance est même partagée par quelques critiques de l'objectivisme et du réductionnisme). On peut supposer que l'idée est une survi­vance d'époques où les affaires importantes étaient dirigées à partir d'un centre unique, un roi ou un dieu jaloux, soutenant et conférant autorité à une vision du monde unique. On peut supposer encore que la Raison et la Rationalité sont des pouvoirs de même nature et qu'ils sont entourés d'une aura identique à celle dont jouirent les dieux, les rois, les tyrans et
leurs lois sans pitié. Le contenu s'est évaporé ; l'aura reste et permet aux pouvoirs de survivre.

L'absence de contenu constitue un avantage fantastique qui permet à des groupes particuliers de s'autoproclamer « ratio­nalistes », de prétendre que leurs succès sont dus à la Raison et d'utiliser la force ainsi mobilisée pour supprimer des dévelop­pements contraires à leurs intérêts. Inutile de dire que la plupart de ces prétentions sont fausses.

Adieu à la Raison (1987), trad. B. Jurdant, Seuil, 1989.

Allez voir au-delà de la raison


 

La science n'est pas sacro-sainte. Les restrictions qu'elle impose (et de telles restrictions sont nombreuses, bien qu'il ne soit pas facile d'en faire la liste) ne sont pas nécessaires pour avoir sur le monde des vues générales, cohérentes et adéquates. Il y a les mythes, les dogmes de la théologie, la métaphysique,
et de
nombreux autres moyens de construire une conception du monde.
Il est clair qu'un échange fructueux entre
la science et de telles conceptions non scientifiques du monde aura encore plus besoin d'anarchisme que la science elle-même. Ainsi l'anarchisme n'est-il pas seulement une possibilité, mais une néces­sité, à la fois pour le progrès interne de la science et pour le développement de la culture en général. Et la Raison, pour finir, rejoint tous ces monstres abstraits — l'Obligation, le Devoir, la Moralité, la Vérité —, et leurs prédécesseurs plus concrets — les Dieux — qui ont jadis servi à intimider les hommes et à restreindre un développement heureux et libre ; elle dépérit...


Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance (1975),

trad. B. Jurdant et A. Schlumberger, Seuil', 1979.

 

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