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beyondinfinite
14 avril 2008

Ernst Bloch, Le Principe d'Espérance, page 231

Le texte ci-dessous est fondamentale, c'est un extrait du Principe d'espérance de Ernst Bloch.
rédigé aux Etats Unis en environs des années quarante, il instaure dans le cadre de la pensée marxiste la possibilité  de spéculer sur les choses à venir. Il explique comment elle sont constituantes de notre être et de notre monde car ce monde est ouvert et ce joue dans la complexité et l'avenir.
Les rêves les plus chimériques ont un rôle a jouer ....
Manifeste en faveur d'une imagination analytique et ouverte, ce texte peut fonder beaucoup de démarches spéculatives qui viendront dans les années à venir.
Alors que notre époque a fait le tour du post-modernisme, de nouveaux paradigmes à l'ouevre se développent sous nos yeux. Nous les distinguons difficilement car une complexité gigantesque se déploie rejouant le destin de l'humanité à d'autres mesures...
Un peu comme Tocqueville qui anticipera la démocratie bourgeoise, Ernst Bloch décrit les fondements philosophiques des mondes à venir.



L HOMME N’ EST PAS COMPACT.

L'existence meilleure, c'est d'abord en pensée qu'on la mène. C'est à cette vie intérieure que se mesure le degré de jeunesse qui anime un être, l'intensité de l'attente qui l'habite. Cette attente refuse de s'assoupir, aussi souvent qu'elle ail été enfouie; même chez un être désespéré elle ne se tourne pas que vers le néant. Lorsqu'il veut se suicider, c'est encore un refuge que le malheureux espère trouver dans le sein de la négation; c'est le repos qu'il y cherche. Même l'espoir déçu, qui erre et traîne son tourment comme un spectre égaré, loin du chemin du cimetière, est encore à la poursuite de ses rêves anéantis. Car il ne périt pas par lui-même mais de sa nouvelle incarnation. Que l'on puisse ainsi voguer en rêve, que les rêves éveillés, généralement non dissimulés, soient possibles, révèle le grand espace réservé, dans l'homme, à une vie ouverte, encore indéterminée. L'homme brode sur ses souhaits, est capable de le faire et pour cela puise en soi plus de matière qu'il n'en faut, toute douteuse et fragile que soit souvent sa qualité. Cette fermentation, ce bouillonnement qui se produit par-dessus la conscience du devenu, est le premier corrélatif de l'imagination utopique, corrélatif d'abord intérieur, sis en elle-même. Tout mensonges que soient les songes les plus stupides, ils existent, ne fût-ce que sous forme d'illu­sions; et n'est-il pas arrivé qu'une Vénus naisse de l'écume agitée d'un rêve éveillé ?L'animal ne connaît rien de semblable; seul l'homme, malgré sa lucidité plus grande, est plein d'effer­vescence utopique. Son existence est, pourrait-on dire, moins compacte, alors qu'en comparaison de la plante et de l'ani­mal, il est beaucoup plus intensément là. Mais malgré cela, l'existence humaine fermente plus et bien plus de choses émergent à la limite et à la lisière supérieure de sa conscience. Car ici quelque chose est pour ainsi dire demeuré creux; bien plus, c'est un espace vide et nouveau qui s'ouvre. C'est en lui que voguent les rêves, et en lui que se meut le possible qui ne pourra peut-être iamais être extérieur.

 

BEAUCOUP DANS LE MONDE N EST PAS ENCORE CLOS.

Toutefois rien ne pourrait se dérouler au-dedans, si le monde extérieur était parfaitement compact. Mais l'existence au-dehors est tout aussi peu terminée que la vie intérieure du Moi, qui travaille à ce monde extérieur. Aucune chose ne prendrait la forme nouvelle commandée par le souhait si le monde était clos et ne se composait que de faits établis, lisses, voire parfaits. Au lieu de quoi il n'est fait que de pro­cessus, c'est-à-dire de rapports dynamiques dans lesquels le Devenu n'a pas encore remporté sa victoire finale. Le réel est processus; celui-ci est lui-même médiation, aux ramifications profondes, entre le présent, le passé non liquidé m surtout le futur possible. Tout réel passe, au front de son processus, dans la sphère du possible, et est possible tout U qui n'est encore que partiellement conditionné, c'est-à-dire non encore déterminé parce qu'encore incomplet ou non clôturé. Il faut toutefois distinguer le possible objectif ou simplement conforme à la connaissance, du possible réel, le seul qui nous intéresse ici. Est objectivement possible tout ce dont la science est en droit d'espérer, ou tout au moins de ne pas exclure la venue, sur base de la simple connaissance partielle de ses conditions existantes. Est par contre réellement possible tout ce dont les conditions ne se trouvent pas encore réunies au complet dans la sphère de l’objet lui-même; soit qu'elles aient encore à mûrir, soit surtout que des conditions nouvelles — mais médiatisées par les conditions déjà existantes — nécessaires à la nais­sance d'un réel nouveau, viennent à éclore. L'Être en mou­vement, en train de se transformer et transformable, tel qu'il apparaît dans sa dialectique matérielle, a cette capacité ouverte de devenir, n'est pas encore clos, aussi bien dans son fondement qu'à son horizon. De sorte que l'on peut affirmer dès à présent : le possible réel de la Nouveauté suffisamment médiatisée, et donc médiatisée par la voie de la dialectique matérialiste, constitue le second corrélatif de l'imagination utopique, son corrélatif concret : situé en dehors de la fermen­tation, de l'effervescence qui se produit dans la sphère inté­rieure de la conscience. Aussi longtemps que la réalité n'est pas complètement déterminée, aussi longtemps qu'elle décou­vre dans les germes tout comme dans les espaces nouveaux de son expression, des possibilités non encore accomplies, la seule réalité des faits ne peut opposer de veto absolu à l'utopie. Elle peut faire opposition aux utopies fausses, à celles qui se volatilisent dans l'abstraction, à celles qui sont mal médiatisées, toutefois l'utopie concrète, elle précisément, trouve un correspondant dans l’ effectivité du processus: le Novum médiatisé. Seule cette effectivité du processus et non une pseudo-réalité de faits prétendument établis, qui plus esl, réifiés, portés à l'absolu et privés de toute attache avec la vraie réalité, peut se prononcer sur la qualité des rêves utopiques ou ne lui reconnaître qu'une valeur de chimère. Si l'on accorde ce droit de critique à n'importe quel réalisme des faits dans le monde extérieur, on fixe l'Existant et le Devenu, les élevant au rang de réalité absolue. Il ressort clairement, déjà de la réalité actuelle, elle-même objet d'une évolution considérable, combien l'unique prise en considération de» faits est peu réaliste, que la réalité elle-même n'a pas dit son dernier mot, qu'elle doit encore se déployer et qu'elle confina à l'ad-venant, au bourgeonnement et à l'éclatement. L'hommo actuel sait ce qu'il faut entendre par une telle existence limi­trophe, dépassant largement le contexte d'attente immédiul, du Devenu. Il ne croit plus évoluer au sein d'une somme de faits établis, apparemment accomplis, et a cessé de les consi­dérer comme la seule et unique réalité; le néant possible du fascisme est, d'une horrifiante façon, passé dans cette réalité, mais surtout le socialisme, enfin praticable, enfin échu. Le moment est venu d'accueillir une conception de la réalité différente de la notion étriquée et figée qu'en avait la seconde moitié du xrxe siècle, différente de celle d'un positivisme étranger au processus et de son pendant qu'était le monde sans engagement des idéaux purement illusoires. C'est cette notion de réalité figée qui s'est même à diverses reprises immiscée dans le marxisme, le rendant schématique. A quoi bon parler de processus dialectique si c'est pour traiter ensuite l'histoire comme une succession de fixa ou de « totalités » fermées. Une telle attitude constitue pour la réalité une menace de rétrécissement et d'appauvrissement, elle équivaut au refus de reconnaître « la virtualité et la semence » qu'elle recèle; elle irait donc à l'encontre du marxisme. Bien au contraire les fantasmes concrets et les œuvres plastiques nées de leurs anticipations médiatisées, fermentent au sein du processus de la réalité et prennent forme dans le rêve concret vers l'avant; tout élément anticipatif est un composant de la réalité elle-même. On est donc en droit de rattacher la volonté d'utopie à la tendance objectale, qui la confirme et l'accueille comme sienne.

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